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  • : Le blog de Jean-François Helleux
  • : Ce blog est destiné à toutes les personnes qui souhaiteront avoir de mes nouvelles ou tout simplement me lire. Lecture, écriture, histoire ...
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Né au sein d'une famille ouvrière, ce dont je m'honore, depuis mon enfance je baigne dans le monde de l'industrie de la chaussure. A travers les conversations, j'ai découvert une vie, des métiers, des mots parfois poétiques et harmonieux, souvent énigmatiques et durs: les mots de l'usine. Ce n'est que bien plus tard que je me suis aperçu qu'il m'était impossible d'expliquer les métiers ou, de donner la moindre signification des termes que j'avais entendus. J'étais en présence de métiers spécifiques à l'industrie de la chaussure, possédant sa langue propre, connue des seuls chaussonniers de Fougères. J'ai donc entrepris un voyage initiatique en compagnie de deux guides : Emilienne, 74 ans et, Dominique, 44 ans, respectivement ma mère et mon épouse. Avec elles, un week-end, sans quitter la salle à manger, en esprit, j'ai parcouru tous les services d'une usine, suivant pas à pas la fabrication d'une paire de chaussures. Puis, j’ai rencontré Bernard qui a répondu gentiment à toutes mes questions sur un service qu’il connaît très bien, puisqu’il y travaille : le montage.

Mais avant de se lancer dans l'aventure, revenons sur un mot que j'ai utilisé précédemment: chaussonnier. Cette appellation est spécifique au Pays de Fougères. Ailleurs on utilise plutôt le terme de cordonnier. Le mot de chaussonnier vient du fait que, autrefois, à Fougères, une industrie de fabrication de chaussons de tresse avait pris son essor. Celle-ci se trouva remplacée sous le Second Empire par la fabrication de chaussons de feutre puis de cuir, de là, le développement de l'industrie de la chaussure.

 

 

COMMANDE

 

La première étape avant la fabrication d'une chaussure est bien sûr, comme dans toute entreprise industrielle, la prise de commande. Chaque entreprise emploie des représentants qui sillonnent le pays, voire les pays étrangers. Dans leurs voitures, ils emportent des échantillons. Ces chaussures, un seul pied par paire, sont toutes de la même taille : 37; elles sont le fruit de la réflexion des créateurs de modèles. Mes deux guides s'arrêtent déjà pour se lancer, avec force détails, dans la description des différents modèles de chaussures existant sur le marché : " Ca c'est un décolleté, ça c'est un derby ( chaussure munie d'un plastron, fermée sur le dessus), voilà un mocassin, une chaussure Louis XV ( à cause de la forme du talon), un trotteur, un escarpin, une ballerine."    

 

 

LE PATRONAGE

 

Partis dans leurs souvenirs, mes deux cicérones filent à travers les services. Je suis obligé de ralentir leur marche par mes questions : "Comment est créé une paire de chaussures?" Emilienne est la première à réagir : " C'est le travail du dessinateur et du patronier...C'est un service à part, le patronage....C'est là que sont créés les modèles. Ils sont dessinés sur papier puis ils sont fabriqués. Dans d'autres métiers, les patroniers sont  appelés : des modélistes." Dominique enchaîne : " Quand les modèles sont créés, ils choisissent des ouvrières dans l'usine, des mannequins qui chaussent du 37 pour les essayer. " Emilienne rajoute avec un sourire : " Ils doivent les porter pendant plus d'une semaine, même si ça leur fait mal aux pieds." Les représentants emmènent bien sûr avec eux, des nouveaux modèles, mais ils ont aussi dans leurs valises des modèles ressemblant à ceux qui ont bien marché les années précédentes. Seule une garniture change, " Ce qui permet de les augmenter " dit malicieusement Emilienne. Les représentants circulent toute l'année, mais la vente et la fabrication est toujours en décalage par rapport à la saison : en automne et en hiver, on vend et on fabrique les chaussures de printemps et d'été ; au printemps et en été, on fait l'inverse. Une période de l'année est très importante pour le monde de la chaussure : Le" Salon du cuir" . Celui-ci se déroule traditionnellement en septembre à Paris. C'est à cette manifestation que tous les fabriquants exposent et vendent leurs plus beaux modèles. Mais c'est aussi pendant ce salon, c'est de bonne guerre, que l'on épie la concurrence et que l'on "sent" les tendances de la mode. Chaque dirigeant d'entreprise, chaque patronier se doit d'être présent au salon pour évidemment présenter son entreprise mais aussi pour être toujours "dans le vent" de la mode parisienne. Mais, revenons à nos commandes. Comme dans beaucoup d'entreprises, celles-ci sont traitées au bureau qui les enregistre, puis établit une fiche qui suivra la paire de chaussures dans tous les services de fabrication jusqu'à son expédition vers le client. Cette fiche est importante car, dessus, y figurent toutes les indications du modèle : nom, pointure, couleur de la peau, nom de la forme ainsi que des cases où figurera le nom de chaque personne qui aura contribué à sa fabrication.

 

 

LA PEAUSSERIE

 

Mais revenons dans l'entreprise et reprenons notre circuit. Le patronier ne serait rien sans le travail du peaussier. C'est l'homme qui connaît le cuir. Très prisé, il a très souvent toute latitude pour acheter les meilleurs peaux, il va sans dire au meilleur prix. C'est de son choix que dépendra pour une grande part la qualité des chaussures. En fonction de la souplesse de telle ou telle peau, elle sera plus facile à travailler et ainsi on pourra en tirer un meilleur parti. Son royaume se situe dans une pièce à part, réserve de matières premières de l'entreprise : la peausserie. Il existe différentes peaux ayant chacune son utilité : le vernis, le chevreau, la chèvre velours, la croûte, les imprimés croco ou vipérine. Il existe aussi des peaux plus rares : le serpent, le croco, l’iguane ou la peau de requin. Ces peaux ne sont utilisées que depuis une vingtaine d’années seulement.  

 

 

COUPE - PREPARATION

 

Suivons ce qui est encore une peau. Son chemin s'arrête sur la table de zinc du coupeur. "Aristocrates" de la profession, les coupeurs taillent, en se servant d'un gabarit en métal, les différents éléments qui assemblés deviendront une chaussure. Pour ce faire, ils utilisent un outil très tranchant ressemblant à un couteau: le chassepot, qu'ils manient avec dextérité. La moindre erreur est fatale, la peau n'est plus utilisable. " Ils tiennent leur outil à la main comme ça...c'est tout à fait délicat , c'est curieux à voir..." précise Emilienne en mimant le geste du professionnel. Tous les coupeurs n'ont pas la même spécialité. Certains ne sont que coupeurs de doublures, de quartiers ( côtés ), ou de talonnettes ( arrières ) voire de garnitures. L’ensemble : quartiers, claque, talonnette est couramment appelé : la tige.

Si autrefois toutes les parties de la chaussure étaient coupées à la main, aujourd’hui, certaines d’entre elles peuvent être coupées par une machine qui ressemble à une presse sous laquelle est fixée un emporte-pièce. Les plus expérimentés sont les coupeurs de dessus, ceux qui découpent les claques ( parties principales de la chaussure). Emilienne précise : " Dans le temps, avant le régiment, ils ne coupaient que des doublures. Ils passaient coupeurs de dessus qu'après l'armée." Chaque paire de chaussures est coupée dans le prétend ( partie étirable ) d’une même peau afin d'éviter les risques de différences d'aspect de la chaussure, un fois qu'elle sera terminée. L'une des difficultés consiste à bien positionner les gabarits sur la peau afin d'éviter les éventuels défauts du cuir et surtout les pertes importantes. Au début du siècle, le métier nécessitait un apprentissage de quatre ans et, obligatoirement l'ouvrier devait passer par tous les stades de la coupe avant de devenir " coupeur de dessus". Ce métier était tellement spécifique que, jusqu'en 1907, il gardera un syndicat corporatif, indépendant de celui des cordonniers. Le métier a évolué. La coupe dans certaines entreprises se pratique aujourd'hui au laser. Mais si la technique s'est modernisée, la profession a toujours besoin d'hommes ayant une bonne connaissance de la peau et de son utilisation. L'oeil doit rester vif, la main doit garder le geste sûr.

Dans le même service, des ouvrières récupèrent les claques, dès qu'elles sont coupées, pour les composter. Ce travail consiste à inscrire des chiffres correspondant au numéro du modèle, de la série, de la pointure. Celle-ci est toujours indiquée en pointure anglaise ; un chiffre correspond à une pointure ( ex : "6" = 39 ). Ces indications resteront apparentes sur la partie intérieure des chaussures lorsqu'elles seront terminées.

Toujours dans le même service, il est procédé à l'égalisage de certains morceaux. Ainsi, il est parfois nécessaire d'enlever de l'épaisseur sur certaines peaux trop épaisses. Là aussi un travail très méticuleux, car s'il y en a trop d'enlevé, le morceau risque de se déchirer au montage de la chaussure.

Les morceaux passent ensuite dans les mains des traceuses. Le traçage se fait, suivant l'utilisation des morceaux, à la machine ou à la main. Il consiste, comme son nom l'indique, à tracer, à l'aide d'un gabarit, un guide qui sera utilisé par les piqueuses. " Dans le temps, il n'y avait pas de traçage pour les piqueuses, elles devaient savoir où piquer...On leur fait tout maintenant. " raconte Emilienne. Dominique enchaîne : " Le traçage machine ne se fait que pour les passants en été." A mon interrogation Emilienne m'explique " que les passants, ce sont les bandes ( 2 ou 3 ) ressemblant à des lacets qui sont fixées sur le dessus ou sur les côtés de certaines chaussures. "    

Toujours dans le service coupe préparation, on trouve le parage. Ce travail consiste à diminuer de l'épaisseur sur les bords de certains morceaux ( 5mm) pour préparer le travail des remplieuses. Nous reviendrons sur cette tâche bien particulière effectuée au service piqûre. Le travail du parage est effectué à la machine. Un rouleau, tournant à vitesse rapide, enlève de l'épaisseur. Il se fait à l'oeil, sans traçage préalable. " C'est spécial, dit Emilienne, dans le temps, il n'y avait pas de garde sur les machines, il fallait faire attention à ses doigts." Comme on peut le comprendre, le travail des pareuses est très méticuleux, car il faut éviter, comme à l'égalisage, d'enlever trop de peau, ce qui entraînerait des déchirures. Mais malgré tout, il faut bien en enlever car " ça ferait trop épais pour les remplieuses ou ça ferait mal aux pieds."  Emilienne rajoute que " Le parage faisait partie du service piqûre." " Non pas chez nous, il était à la coupe." réplique Dominique. Diversité des époques et des usines. Chacune d'elles a sa propre organisation.

 

 

LA PIQÛRE

 

Continuons à suivre nos morceaux. Ils quittent le service de la coupe pour entrer dans un service aussi prestigieux: la piqûre. La première tâche à effectuer c'est la préparation " qui consiste à mettre les ardillons (pointes au milieu des boucles), les boucles, tout ce qui concerne les garnitures." et Emilienne de rajouter : " Il y avait aussi les boutons qu'il fallait recouvrir à la machine."

La tâche suivante, nous en avons parlé précédemment, il s'agit du rempliage. Ce travail effectué par des femmes était autrefois fait entièrement à la main et très souvent à la maison. Aujourd'hui, il continue de se faire à la main, mais pour certains morceaux il peut être effectué à la machine. Il consiste à replier les bords de la chaussure afin qu'elle ne blesse pas le pied quand elle est portée. Pour ce faire, les ouvrières utilisent des outils traditionnels que Dominique se fait un plaisir de nous énumérer : " A la main, elles ont un pic  (pointe arrondie), un chassepot, un ciseau et surtout le marteau à remplier. " Les "remplieuses main" remplacent avantageusement la machine quand il est nécessaire d'effectuer du travail très précis, en particulier les arrondis.

Continuons notre périple. Nous arrivons à la piqûre dans le vrai sens du terme. Maintenant que la " pièce entière " n’est plus faite par la même ouvrière, un transporteur assure le déplacement des différents morceaux d’un poste à un autre évitant aux ouvrières des déplacements inutiles. Au montage, pour les mêmes raisons, on utilise un tapis ( travail en module ).

Les premières ouvrières, appelées piqueuses à Fougères, souvent appelées mécaniciennes dans d'autres régions, sont les piqueuses de doublure, puis les piqueuses de dessus. Là, le métier est clair et ne nécessite que peu d'explication : Les morceaux sont assemblés sur des machines à piquer munies d'une roulette, et non de pied-de-biche comme dans l'industrie textile. Si on entrait un peu dans le détail, on s'apercevrait qu'il existe différentes sortes de piqûres ( ex : piqûre cellier: grosse piqûre en débord sur la semelle...) La tige et la doublure sont ensuite collées ensemble par des ouvrières spécialisées pour cette tâche. Laissons parler Emilienne : " Dans le temps, quand je faisais la pièce entière, ça n'existait pas. La doublure n'était pas tenue avec le dessus. C'était piqué." Autrefois ( 1903 - 1904 ), les piqueuses travaillaient à domicile, dans ce cas là, elles devaient se payer leurs fournitures ( fil, aiguilles...), parfois même leur machine à coudre.

Dans ce service aussi des spécialistes : les encolleuses de bouts ( renforts d’extrémité de chaussure ) et les encolleuses de glissoires (renforts d’arrière ). On passe ensuite à une quantité importante de petites tâches ayant toutes leur importance et sans lesquelles la chaussure serait impossible à réaliser dans de bonnes conditions : La piqûre des élastiques, la teinture " pour cacher les défauts" etc...

Pour certaines chaussures, il est parfois obligatoire d'effectuer des perforations. C'est dans ce service, avant ou après la piqûre suivant les modèles, qu'interviennent les perforeuses. Ce travail s'effectue à la machine ou à la main. La machine est munie d'un gabarit qui descend sur la peau " Faut pas laisser les mains dessous! ". Parfois tous les trous ne sont pas faits et, il est  nécessaire de les terminer avec une aiguille.

C'est aussi à cet endroit que sont préparés et piqués les passants. Dominique apporte une précision sur ce service qu'elle connaît bien : " Certaines ne piquaient que le dessus, d'autres ne piquaient que la doublure, d'autres enfin ne travaillaient que sur les arrières de talons : c'étaient les poseuses de glissoires. " Emilienne intervient : " Maintenant, c'est en partie divisé. Il y en a, ça fait des années qu'elles font le même boulot. Dans le temps, on faisait la pièce entière. Tu avais tes morceaux et tu faisais ta chaussure jusqu'à ce qu'elle descende en bas. C'est pour ça que les ouvrières pouvaient travailler chez elles. Il fallait bien connaître toute la piqûre."

Je me mets à sourire. Depuis un moment j'entends parler de : "En haut....,en bas...". Emilienne m'explique en souriant : " Dans une usine de chaussures, c'est jamais au même niveau. Tu as toujours le "haut" et la "cave". Dans le temps, les usines étaient construites en hauteur et, automatiquement, on plaçait les services dont les machines étaient les plus légères en haut ( coupe, piqûre ) et, celles plus imposantes en bas ( montage)."  Un service en a gardé son nom : la cave, endroit où l'on s'occupe de tout ce qui concerne les talons.

 

 

 

 

LE MONTAGE

 

La transition est bonne pour changer de service. Nous pénétrons maintenant au service du montage. Là c'est le monde des hommes. Tout d'abord, à la cave, la "broche". Dominique nous précise : " C'est là que l'on travaille sur tout ce qui est en rapport avec la semelle. Celle-ci se compose de plusieurs parties : une rigide , coupée à l'usine, qui fait la cambrure, une première et une autre plus souple en cuir ou en carton sur laquelle sera effectué le montage". C’est à cet endroit que l’on fabriquait autrefois les semelles "trépointes "( semelles cousues).Toutes ces parties subissent le même sort que les autres peaux : elles sont, tamponnées, égalisées, crantées pour obtenir une bonne accroche de la peausserie au montage.

L'ensemble part au montage proprement dit. Pour effectuer cette tâche, les ouvriers utilisent une "forme", autrefois en bois, maintenant en plastique. Ils plaçaient la peau sur la forme, la tiraient puis la pointaient ou l'agrafaient sur la semelle. Pour expliquer ce métier, laissons parler J. Guéhenno dans "Changer la Vie" : "Il tenait entre ses deux mains, contre sa poitrine, la chaussure sur une forme de bois ou de fer, et la machine, comme un lourd marteau, à un rythme régulier, tombant sur ses poignets, plantait d'un seul coup les semences ou les pointes et "affichait" fixait la semelle....La poitrine des hommes ne résistait pas longtemps à ces secousses continues. " Emilienne reconnaît là le métier qu'elle a connu : " C'est vrai que c'était un métier dur. Il fallait tirer la peau avec des pinces, sans faire de plis et mettre des semences." De même que les piqueuses, au début du siècle, les monteurs payaient de leurs deniers les semences et les pointes. Maintenant "la peau est serrée dans une machine et c'est le suivant qui agrafe ou colle la semelle" précise Dominique.

Laissons parler le spécialiste, Bernard : "La profession s’est beaucoup modernisée. Aujourd’hui, la première semelle, la plus rigide, est en "texon". Au début du montage, toute la préparation est faite ; les semelles : cubains, Louis XV, blocs trépointes ou demi trépointes, sont terminées. La première de montage est ensuite fixée à la forme avec deux agrafes, puis la prépareuse fixe les contreforts ( placés à l’arrière entre la peau et le glissoire) en utilisant des solvants, ou, suivant le modèle, en travaillant à chaud. L’ ensemble part au galbage. Cette tâche est effectuée à l’aide d’une machine qui prend la forme de la tige ( les matrices changent en fonction des formes et des hauteurs de talons ) et colle l’ensemble : contrefort, glissoire et dessus. Cet ensemble passe ensuite à la pose doublure afin que soit collé au latex : le dessus, le bout dur et la doublure. A noter qu’autrefois la doublure n’était pas collée. Elle était appelée : "doublure flottante".

Nous passons aux monteurs sur machine, car seules les sandales sont montées à la main. Ceux-ci posent la tige sur la forme et la machine colle l’ensemble. Le tireur flan fixe la baguette ( arrière de la chaussure ou apparaît la couture )  puis, à un autre poste, la machine "Deux temps" effectue l’emboîtage ( fixation) avec 18 semences ( petites pointes) et la fixation des flans. Après contrôle, on enlève les agrafes et on passe les chaussures à la "rotative" et au verrage afin de bien aplanir et supprimer les excès de peausserie sur le dessous. On passe ensuite au cardage et on comble la partie creuse de la cambrure et de la talonnette par un mélange de liège et de solvant ( le rempli). Le tout passe à l’encollage tige et l’encollage semelle avant d’être transmis à "l’afficheur semelle" qui pose sa semelle sur la tige et la met sous presse.... Aujourd’hui, on pratique encore le montage main uniquement pour les sandales. On est obligé de tirer les ritters ( petites bandes de cuir) à la pince comme autrefois. ".

Autrefois, les chaussures étaient entièrement "montées cuir". "Les anciens ouvriers, quand ils achetaient une paire de chaussures,  soulevaient la "semelle de propreté" pour voir si la chaussure était montée sur carton ou sur cuir. C'était une déformation professionnelle. Montée sur peau, c'est quand même plus solide que montée sur carton. " Dit Emilienne un peu critique sur les techniques modernes.

Dominique continue : "Les formes sont enlevées à la sortie du montage après que les chaussures aient séché." Reprenons le commentaire de Bernard : "Après l’affichage semelle, la chaussure est emmenée au tirage forme. Les formes maintenant sont articulées, ce qui les rend plus faciles à enlever qu’autrefois où elles étaient en bois. Il fallait enlever "un coin", c’était beaucoup plus dur, il fallait tirer dessus." 

 

 

LE FINISSAGE

 

Continuons notre parcours, nous changeons à nouveau de service. Nous voici arrivé, par la pensée, au finissage, dont certaines tâches, en fonction des usines, sont parfois intégrées au montage ou au magasin . Ici, c'est le travail de précision où l'on apporte la dernière main à la fabrication proprement dite des chaussures : pointage, collage et fraisage des talons, teinture, fraisage des lisses, nettoyage des bouts, collage des "semelles de propreté".

Une fois la chaussure montée, il est nécessaire de fixer le talon. Selon les époques et les entreprises, cette tâche pouvait s'effectuer soit au service montage ou à la "cave". Ecoutons à nouveau Bernard : "Le talon est tenu par une vis de 19mm et quatre pointes de 14mm ou 18mm suivant le modèle. Le vissage peut s’effectuer sur la forme ou une fois que la forme est enlevée. Là aussi, le travail peut être différent en fonction du modèle. Ce travail est effectué sur un machine bien spécifique. Certaines usines effectuent le tirage de forme, le vissage et le pointage sur la même machine. Après la fixation du talon, il est nécessaire de passer au râpage qui consiste à contrôler si aucune pointe ne dépasse et, si c’est le cas, l’ouvrier doit impérativement les éliminer. Puis il est posé une mousse talonnette pour donner un confort sous le talon." 

Il existe différents modèles de talons les plus répandus aujourd’hui sont le cubain ( talon posé sur la semelle ) et le Louis XV. Suivant les modèles, le talon peut être recouvert. Dominique nous indique que " ce travail s'effectuait à la cave, à la broche.". Emilienne nous raconte que " dans le temps, les talons étaient recouverts par des ouvrières qui faisaient ça chez elles." Maintenant de nombreux talons sont préparés par des entreprises spécialisées ( ex : les Ets Nicoul à Fougères). Il y a de moins en moins de chaussures avec des talons recouverts cuir.

C'est aussi dans ce service que l'on colle la semelle dite de "propreté". C'est la dernière semelle à l'intérieur de la chaussure. Celle qui est visible où figure toutes les indications de pointure ainsi que la marque et les fameux : "Fabrication française" et " Cuir véritable". Bernard nous apporte une précision sur un terme poétique et plaisant à la fois : La salle des mariages : "C’est un endroit où figurent tous les modèles vendus en début de collection. Il est procédé à un rapprochement entre ce qui a été vendu et ce qui a été fabriqué. Le nombre doit être identique. C’est en quelque sorte un contrôle interne. Cette opération s’appelle marier les modèles et bien sûr le lieu a pris le joli nom de : "Salle des mariages"."   

 

 

MAGASIN

 

La chaussure est maintenant terminée, il ne nous reste plus que deux services à visiter. Le magasin, c'est le service où l'on voit les chaussures pour la dernière fois. Au bichonnage, après leur avoir déposé un espèce de lait, elles sont brossées, lustrées afin de les faire briller au maximum. Dans certains cas, on leur applique de la cire pour boucher d'éventuels petits trous. Dans ce service, on termine la présentation des chaussures en montant les lacets ou les noeuds. Ensuite, on les bourre d'un papier spécial, puis une ouvrière " habille" les boîtes avec un papier de soie et enfin y place les chaussures dans un ordre bien déterminé. La dernière touche étant de placer dans la boîte quelques informations publicitaires, puis de coller sur l'extérieur, en bout de boîte, l'étiquette du modèle et la pointure des chaussures correspondantes.

 

 

L'EXPEDITION

 

En fonction des sorties de magasin, les colis sont préparés pour chaque client en prenant bien garde que les commandes soient complètes, ce qui arrive la plupart du temps ; la fabrication étant lancée par client, ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres sites de fabrication comme le choletais où, précise Bernard : "Ils fabriquent 20000 à 30000 paires de la même série et les stockent en attendant les commandes des clients....On commence, nous aussi, à faire de la série ce qui simplifie le réglage des machines au montage. "

Malheureusement, comme dans toute société organisée, un grain de sable peut venir enrayer le système et une paire de chaussures, pour une raison ou pour une autre peut avoir pris du retard dans la fabrication et bloque ainsi l'expédition d'une commande entière. Lorsque c'est le cas, cette paire de chaussures devient prioritaire dans tous les services de l'usine afin qu'elle puisse rattraper, voire ne pas retarder le reste du lot. C'est très souvent le personnel de l'expédition qui s'occupe de suivre ces paires en retard.

Bien sûr, une fois que la commande est expédiée, comme dans toute société commerciale, la facture est établie par le personnel du bureau et envoyée au client.

 

 

SERVICES ANNEXES

 

Comme dans toutes entreprises, les usines de chaussures possèdent un bureau où se regroupent : une équipe de direction, un service du personnel, depuis quelques années un service de qualité ainsi qu’un service commercial en constante relation avec les représentants. Mais, n’oublions pas une des personnes les plus importantes de l’usine : le mécanicien. En effet, cet homme, appelé dans tous les services doit être capable d’effectuer les petits dépannages sur toutes les machines. Celles-ci évoluant ( programmation ), il doit sans cesse se remettre en cause. C’est de ses interventions que dépend, pour une bonne part, le bon fonctionnement des chaînes de fabrication.

 

 

CONCLUSIONS

 

Nous achevons ici notre voyage dans une usine de chaussures. Nous avons regroupé dans la même fabrique, des époques et des méthodes différentes. Un mois s'est écoulé entre le lancement de la chaussure et son expédition. Nous avons suivi, avec Emilienne et Dominique, toutes les phases de la fabrication d'une chaussure. Nous avons rencontré une multitude de tâches portant des noms bien spécifiques. Ces métiers, bien que s'exerçant au sein d'un milieu  industriel, ont pour la plupart gardé tout leur caractère artisanal. En effet ce qui choque le néophyte que je suis, c'est l'importance de l'homme dans la réussite d'une belle chaussure. C'est grâce au coup d'oeil, à la dextérité du personnel que l'on arrive à sortir des "oeuvres d'art" qui font encore la renommée de l'industrie de la chaussure fougeraise.

La chaussure : une industrie peu connue du grand public qui nécessite des hommes et des femmes qui la composent un parfaite connaissance du métier, une attention de tous les instants, un professionnalisme bien mis à mal par la concurrence étrangère et malheureusement pas toujours reconnu par des investisseurs plus pressés de délocaliser une main-d'oeuvre, lui assurant un maximum de rentabilité à court terme, que de mettre en exergue une qualité unanimement reconnue.

"Leur honneur quotidien était de gagner leur vie et de refuser la charité." écrivait Jean Guéhenno à propos de ses parents. Les temps ont-ils vraiment changé ? 

 

 

 

Remerciements à Emilienne, Dominique et Bernard sans lesquels cet article n'aurait pas vu le jour.

Un remerciement spécial aux Ets. NARCY ( Direction et personnel) qui m'ont accordé un peu de leur temps et qui ont fait preuve de beaucoup de patience afin que je puisse prendre les photos illustrant cet article.     

 

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