Au comptoir de son bar Le relais du Saut Roland, Bruno Chemin parle gallo à un jeune client. Ça semble tout naturel. Il est conteur aussi bien dans son restaurant de Dompierre que sur les chemins. À 54 ans, il est devenu au fil des ans un personnage du pays de Fougères. Il anime mardi avec ses copains de l'association de musique traditionnelle l'Afap un Rendez-vous conte, à la ferme de Jalaine.
« C'était la ferme de mon grand-père. C'est là où il a élevé ses dix enfants tout seul. J'avais envie de retourner conter près du four à pain », commence-t-il, avant d'embrayer sur une anecdote de son « tonton ». « À la Jalaine, il y avait une grande pièce au sol en terre battue avec une grande cheminée, où tout le monde vivait. Un jour, les enfants avaient si froid que mon grand-père a fait rentrer une jument dans la pièce. Il lui a fait tirer une énorme souche de bois pour le feu. Ils se sont chauffés avec pendant quatre jours ! »
Gamin de Fougères
Lui, il a grandi à Fougères, rue Albert 1er, près de l'ancien quartier de l'abattoir. Il avait pour voisin... Frofro - alias le musicien Jean-François Froger - toujours son compère au sein de l'Afap et lors de soirées contes. « C'était lui, le chef ! rigole Bruno Chemin. On allait dans les rues pour essayer de récupérer de la ferraille puis s'acheter une voiture à pédales. Fils d'ouvriers, on n'avait pas grand-chose. Frofro faisait déjà de la musique. » Et ils faisaient déjà des « conteries » ! « Dans le quartier, on se foutait sur la goule, puis on racontait des histoires. Nous, les fils d'ouvriers, on avait battu les riches ! »
Puis, Bruno Chemin retourne dans le village familial à Dompierre-du-Chemin avant de partir travailler pendant vingt ans sur des chantiers de centrales électriques. « Et j'ai eu envie de revenir. » Avec sa femme, ils montent leur restaurant à Dompierre. « En rentrant au pays, j'ai retrouvé les odeurs et les senteurs qu'on a coutume d'oublier quand on est jeune, avec cet accent et les musiques traditionnelles. »
Le gallo est remonté à la surface. « Mon autre grand-père qui habitait Montreuil-des-Landes était marchand de vaches. Gamin, je montais dans sa traction et je me nourrissais de tout ce qui se disait dans les fermes où il allait. » Il s'est mis à conter. À 40 ans, il a aussi appris l'accordéon diatonique. « Les deux se marient bien. La bouèze, c'est un joli instrument. Quand tu emmènes les gens en rando, faut pas que de la goule ! »
Ses histoires ? Il les écrit avant de les raconter. Il s'inspire du vécu de chacun, pioche dans ces petites sensations communes à tous et arrose le tout d'humour. « Ce qui est formidable quand tu vas conter, c'est la réaction du public. J'aime bien lire la stupéfaction des gens. » Il rebondit aussi sur l'actualité, improvise, revient à son récit.
Un peu comme quand on s'entretient avec lui. Il dit qu'il est satisfait d'avoir pu « maintenir un commerce en milieu rural ». Un peu plus tard, il ajoute que deux grands personnages l'ont marqué : son père et Nelson Mandela.