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  • : Le blog de Jean-François Helleux
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31 juillet 2009 5 31 /07 /juillet /2009 09:50

Le soleil passant au dessus de la pointe de la Jument réchauffe de ses rayons ma pauvre coque à demi envasée. Depuis cinq ans, je gît, tel une bête malade, dans les sables gorgés d'eau de l'anse du Moulin, à quelques milles au sud de mon port de naissance. Concarneau, la ville close, les chantiers navals, que de souvenirs. C'est dans cette ville, qu'il y a maintenant trente ans, moi, " Le P'tit Louis", magnifique chalutier, j'ai vu le jour.

Un matin de printemps, après avoir été baptisé par ma marraine, mon équipage à bord, j'ai glissé doucement dans les eaux calmes du port. Ma coque bleue s'est reflétée, pour la première fois, dans le monde liquide qui deviendra mon milieu quotidien. Mon moteur, flambant neuf, en vrombissant, a fait frémir ma carcasse. Le capitaine Tanguy a enclenché tous mes appareils et, plus criant que parlant, il a lancé à la radio:

"A tous les marins de la côte sud de Bretagne, le capitaine tanguy annonce la mise à l'eau du chalutier: "Le P'tit Louis". A tous les poissons des mers de Bretagne et d'ailleurs: Tenez vous bien, nous arrivons !"

Puis, toute sirène au vent, je fis mon tour d'honneur dans le bassin, salué par tous mes congénères avec qui je partagerais l'immensité salée.

Que de souvenirs pendant ces trente années! Que de plaisirs et de souffrances avec mes amis pêcheurs ! Avec eux j'ai partagé les joies d'une bonne pêche, j'ai frémi quand, sur mon pont, se répandait la masse frétillante et argentée déversée du filet dégoulinant de larmes de mer. Je me suis senti rempli de fierté quand mon étrave bravait l'écume blanche des vagues. J'ai craqué de tous mes bois quand, pris dans la tempête, j'ai tenu bon pour ramener les hommes au port. De la mer d'Irlande au golfe de Gascogne, j'ai dragué de mes filets les côtes de France. J'ai vécu avec ces hommes, laboureurs de la mer, si mal récompensé pour leur travail, toujours à la merci des mercantis et malgré tout, j'ai aimé cette vie et la promiscuité de ces hommes.

Jusqu'à ce jour où un ministre de la mer, resté plus célèbre pour les performances de son véhicule que pour son action dans le domaine maritime, a décidé de diminuer la flotille de pêche française. Depuis ce jour, j'ai vu disparaître certains de mes frères. J'ai été le témoin de scènes déchirantes. Le long des quais, des marins assistaient au dépouillement, puis au naufrage volontaire de leur outil de travail. D'autres, un soir d'amertume, mirent le feu à leur compagnon d'infortune. Le pire a sans doute été le sort réservé a ces magnifiques bateaux que l'on a relégué comme ornements des multiples rond-points qui fleurissent à nos entrées de ville. J'ai vu sur le visage buriné des marins coulé des larmes au goût de mer.

Puis, mon tour est venu. Approchant l'âge fatidique de la retraite, mon capitaine a convoqué l'équipage et, la gorge serrer, leur a annoncé qu'il avait décidé de me désarmer. Après une dernière virée entre Belle Île et Sein, nous sommes rentrés, silencieusement, au port. Dans les jours qui ont suivi, on m'a vidé de tous instruments, puis, on m'a remorqué, à marée haute, jusqu'à cette anse où je goûte l'eau douce de "la Minaouët".

C'est là, que depuis cinq ans, je gît dans la vase, rongé par les crabes, souillé par les mouettes et les goélands. Au cours de ces années, le sel a rongé mes ferrures, le bleu de ma coque à pâli, s’est écaillée ou a disparu par endroit. secoué par les grandes marées, mon bois s’est disjoint, laissant, petit à petit, s’infiltrés des quantités d’eau de plus en plus importantes. Couché sur le côté, immobilisé dans cette gangue de sable et d’eau, j’ai été gagné par la pourriture. Mon armature s’est mis à émettre de lugubre craquement, me faisant comprendre que l’heure fatidique approchait où mon armature se disloquerait, laissant ses morceaux se disperser au gré des eaux.

Je sais que le jour est arrivé. Ce soir, la marée sera plus haute qu’à l’habitude. Pendant la journée, le pâle soleil a réchauffé mes vieux os puis, il a décliné pour ne devenir qu’un cercle rougeoyant à l’horizon. Un vent frais s’est levé, poussant la marée et rendant les vagues de plus en plus fortes.. Imperceptiblement, l’eau s’est mise à monter. Je l’ai senti humidifier le sable puis, avec un doux bruit de clapot, elle est venue frappée ma coque. Maintenant qu’il fait presque nuit, la masse liquide n’est plus éclairée que par intermittence par le phare de la pointe. Le vent souffle avec force. La pluie s’abat par rafale. Les vagues tapent violemment sur ma coque et l’ébranle à chaque coup de boutoir. L’eau s’infiltre par tous les interstices. Une vague plus violente fait sauter quelques lattes. Tout s’accélère. L’eau alliée à un vent tourbillonnant fait éclater ma coque en deux. La marée fait le reste. A coups répétés, elle me débite en morceaux qui, pauvres dépouilles de bois, filent au gré du courant. Je ne suis plus qu’un squelette qui, sous la pâleur de la lune revenue, voit tous ses membres l’abandonnés. " Le P’tit Louis" se meurt, " Le P’tit Louis" n’est plus. 


La photo a été aimablement prêté par :  http://lalbumdhector.over-blog.com/

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commentaires

L
Bonjour Monsieur Helleux, je garde un excellent souvenir de Gwénolé ainsi que de vous et votre épouse. J'ai quitté Edmond Michelet en septembre 2008 pour un poste sur Pommerit Jaudy, plus proche de<br /> ma famille. Votre blog reflète votre sensibilité et "Le Passager" me l'a fait découvrir avec bonheur. Bien à vous. Catherine M.
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J
<br /> <br /> Bonjour Catherine. Très heureux d'avoir de vos nouvelles. Gwénolé a été surpris d'avoir de vos nouvelles par le blog. Le monde est vraiment petit. Aujourd'hui, il travaille comme cuisinier dans<br /> un restaurant de Vitré. Cet été, il était prêt à reprendre l'affaire... ce n'est que partie remise. Bien amicalement<br /> <br /> <br /> <br />
L
il semblerai que nous ayons d'autres connaissances communes, ma compagne Catherine Mateu, qui se rapelle d'un gentil garçon, Guenolé qu'elle a eu en classe à Edmond Michelet. Tu te rappelle peut<br /> être d'elle ?
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J
<br /> <br /> Le monde est vraiment petit. Bien sur que je me souviens de Catherine Mateu. Mon fils reviens à la maison samedi, je vais lui en parler. Dis un amical bonjour à Catherine. Depuis combien de temps<br /> est-elle partie de Michelet ?<br /> <br /> <br /> <br />
L
Je découvre ton site et ce texte superbe, promis je reviendrai.
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J
<br /> <br /> Heureux de ta visite. Moi aussi, en voisin, je passe sur ton blog que je trouve très agréable. Il est vrai qu'il m'a été indiqué par une amie commune : Mima. Bonne soirée <br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> Triste destin, comparable à celui de nos marins, de moins en moins nombreux sur nos côtes ...<br /> <br /> <br />
Répondre